Construire sans eau ni électricité/Partie II

Eskaapi

Nantes, Loire-Atlantique

Lire la Partie I


Silencieux, le site l’était. Aucun ronronnement de machine électrique ne venait perturber les bruits de la jungle environnante. Grâce aux échanges avec les locaux avant notre départ, nous avions compris que l’outil électrique n’était pas la meilleure option de travail. La chaleur, la poussière et les coupures de courants régulières contraignent son usage. Nous comptions sur la grande motivation de l’équipe, sa force musculaire, et les idées de chacun pour réussir à nous en passer.


L'absence d’électricité fut surtout une contrainte dans la gestion du temps de chantier plutôt qu’en terme d’usage. En effet si besoin majeur il y avait, nous pouvions toujours retourner au village, à une dizaine de minutes de marche, pour utiliser l’électricité.  Beaucoup de conditions, certes mais qui pouvaient s'accorder la plupart du temps.


L’utilisation des outils manuels

Les coffrages, le mobilier permanent et la charpente du projet furent fabriqués à partir de bois exotique apporté directement par l'élagueur du village, de la forêt au chantier. Après un aller-retour chez le menuisier pour équarrir approximativement les planches, nous devions les couper nous-mêmes à la longueur voulue.

Le bois exotique est un bois dur et rigide. Idéal pour la réalisation de coffrages ou d’une charpente, il l’est beaucoup moins quand il s’agit de le scier ou le percer à la main. Ce fut le début de concours de vitesses cocasses, de notations sur les précisions de découpes de chacun et de positions incongrues pour tenir les planches.

Heureusement nous étions aidés par un charpentier et son apprenti de talent qui  étaient eux, capables de scier une planche en quelques secondes en équilibre perché sur une poutre. Finalement, l’efficacité est aussi une question d’habitude et d'entraînement.



Une scie électrique !

Nous avons eu droit à quelques jours de répit dans notre bataille avec le bois exotique : les gradins de la salle de lecture ont eu la chance d'être prédécoupés au village, à la scie circulaire. Attendue avec impatience et réclamée à grands cris par toute l’équipe, elle nous a été rapportée de France en cours de chantier par l’un de nos volontaires. Voir les planches se découper si rapidement et sans fatigue physique nous apporta à tous un regain d’énergie et de motivation. La construction des gradins avançait tellement vite ! Malheureusement, face à la chaleur et à la dureté du bois, elle a rendu l'âme sous les tropiques après une semaine de bons et loyaux services. Elle fut moult fois démontée et remontée, mais après cinq charbons brûlés, elle nous abandonna définitivement.


Un travail d'équipe

Nous étions donc confortés dans notre choix d’outils manuels. Ils étaient fiables et peu chers, et en cherchant un peu, on pouvait même les trouver dans la ville la plus proche.

En travaillant à la main, on apprend beaucoup. On ressent la dureté du bois, on s’exerce à scier et percer droit, on sait quand on arrive sur un nœud et quand on est dans le sens des fibres. On sent la matière que l’on travaille. On apprend également à bien réfléchir avant de commencer à travailler, il n’est pas question de faire la découpe deux fois !

Les cerveaux redoublent d’ingéniosité pour s’économiser à la tâche et l’entraide est de mise. Des équipes se forment pour s’encourager, tenir les planches, les percer et les scier.



Que d'ingéniosité !

Le chantier est également un excellent prétexte pour inventer et fabriquer de nouveaux outils de travail. Nous avions par exemple besoin, pour la réalisation des murs, de découper des petits tuyaux PVC à la largeur des banches. Intégrés au pisé, ils permettent de retirer et bouger les banches avec plus d'aisance et sans abîmer le mur une fois le bloc de terre pisé. Les tuyaux de PVC arrivaient sur chantier par longueur de 9m et il nous fallait les couper en morceaux de 30, 40 et 50cm. Les premières découpes furent longues et fastidieuses. Une solution efficace devait s’imposer. Après échanges et réflexions, nous avons amélioré le processus grâce à la conception d’un petit gabarit dans lequel nous pouvions glisser six tuyaux à la fois, et ajuster à la longueur souhaitée. Quelle fierté d’avoir conçu avec trois clous et quelques bouts de bois un outil baptisé “Pipe cutting machine” qui nous suivra tout au long du chantier !



Il est possible de se procurer au Ghana la plupart des outils, mais cela nécessite souvent quelques heures de tro-tro (mini bus local) et de chasse au trésor dans l’immense marché de Kumasi. Tous ne sont malheureusement pas de très bonne qualité aussi nous apprenons très vite à démonter, réparer et user jusqu’à la corde chaque pièce. Une bonne leçon d'obsolescence déprogrammée !


Le peu et l’écologie vont de paire. En travaillant dans un contexte où tout ne coule pas de source, où les choses n’existent pas en abondance et où le moindre achat amène à parcourir de longues distances, chaque chose devient précieuse et chaque usage est réfléchi. Le retrait de deux denrées devenues communes et courantes sur un chantier de nos jours, nous a confronté à nos savoirs-faire et notre capacité de réinterprétation et adaptation. Le plus impacté fut le planning mais le progrès et les apprentissages de chacun ont donné d’autant plus de valeur au projet.