Construire et Habiter
L’autoconstruction
comme revendication au droit d’habiter
Il semblerait que l’auto-construction soit davantage mise en avant dans la construction écologique que dans la construction conventionnelle. Bien que cette dernière, souvent par soucis d’économie, trouve aussi ses adeptes du bricolage et fait naître des vocations dans le bâtiment, la construction écologique nécessite souvent des savoir-faire simples mais dont les besoins en main d’œuvre sont colossaux. Il peut s’agir du temps de travail, ou du grand nombre de personnes à mobiliser. Il se peut même que les deux s’ajoutent comme dans la construction en terre porteuse, par exemple.
« Le rôle social de la construction écologique nous a énormément intéressés durant notre voyage car il redonne un sens au droit d’habiter.»
L’auto construction renvoie ici à des temps anciens, où les villages se construisaient à plusieurs, par les futurs habitants eux-mêmes. Les gens s’aidaient mutuellement sur l’élaboration de leur abri : construire son toit ensemble était aussi naturel que faire son potager pour avoir sa nourriture, ou couper son bois pour se chauffer. Dans nos sociétés actuelles, cette coopération nécessaire à la vie n’est plus évidente. L’auto construction et les techniques passées qui reviennent avec la construction écologique réinventent ces modes basés sur l’entraide et les intérêts que les individus portent les uns envers les autres.
Le rôle social de la construction écologique nous a énormément intéressés durant notre voyage car il redonne un sens au droit d’habiter. Nous voyons dans ces actions coopératives la possibilité de questionner concrètement l’appropriation du territoire. A plusieurs, l’habitat auto construit engage des actes, des libertés, des compétences insoupçonnées qui rend aux habitants leur indépendance face au logement, leur droit d’habiter.
La recherche de la
performance, entre nécessité et frein
L’écoconstruction concerne bien évidemment autant la rénovation que la construction neuve. Dans ce dernier domaine, l’évolution de la règlementation dans le bâtiment tend vers une performance énergétique afin de supprimer les passoires thermiques des années passées et faire vivre l’édifice de façon moins énergivore. Le combat contre les déperditions énergétiques est durement mené depuis quelques années. Il permet aux habitants de moins consommer d’énergies, de mieux maîtriser leurs usages.
La quête de la performance énergétique oublie néanmoins le souci de l’avant, et de l’après. Les matériaux mis en œuvre pour atteindre les exigences thermiques ne sont qu’en partie vertueux. Les bâtiments doivent être de plus en plus étanches à l’air, et cela implique une complexité de systèmes obligeant à consommer des appareils mécaniques coûteux, des films pare-vapeur, pare-pluie, des isolations parfois minérales plutôt que végétales… Certes l’énergie consommée durant l’utilisation du bâtiment sera réduite, mais la problématique de la production de ces nouveaux systèmes, l’origine géographique des matériaux et leur réversibilité (réemploi ou recyclage) sont rarement prises en compte.
« La quête de la performance énergétique oublie néanmoins le souci de l’avant, et de l’après.»
L’application de la RE2020, attendue avec impatience par les acteurs du bâtiment devrait changer ces aspects de la construction. Elle remet en cause le cycle complet d’un bâtiment et de ses matériaux, depuis sa construction jusqu’à son utilisation. Le bilan carbone serait pris en compte dans sa totalité, depuis l’origine et la production de chaque composant de l’édifice, jusqu’à sa disparition. Ce changement considérable rendrait sa place à la base de la construction écologique : la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Et ce, à toutes les étapes du projet.
Nous avons constaté puis engagé nos regards vers ce frein majeur tout au long de notre Tour de France car il nous semble essentiel dans l’approche de la construction écologique. Il est aberrant de labelliser un bâtiment parce qu’il est passif au regard de son utilisation, sans tenir compte du fait que le bois de son ossature a fait le tour du monde avant d’arriver sur chantier, que son excellence en étanchéité est due aux nombreux films non recyclables qui l’entourent, que son système de ventilation double-flux est extrêmement coûteux pour l’environnement à la fabrication, à l’achat…
Nombre d’exemples serait à citer sur ces points incohérents comme celui d’un bâtiment de bureaux de 12 000m² labellisé « BREEAM very well », constitué de milliers de volumes de béton et dont toutes les façades sont en verre. De notre point de vue, ce type d’édifice n’a pas sa place dans l’architecture frugale et nécessaire de demain. Ses dépenses énergétiques à l’utilisation sont certes améliorées mais le coût environnemental de sa conception et de sa construction sont colossaux à l’égard de la planète.
Au départ, nous partions un peu à l’aveugle, guidés par les annonces d’auto-constructeurs sur le site Twiza.
Quentin venait d’obtenir son diplôme en OPEC (Ouvrier Professionnel en Eco-construction) mais cette fraîche qualification, bien que passionnante lui avait dépeins un tableau tous azimuts qui le laisser perplexe sur la suite de son avenir professionnel. L’envie d’approfondir certaines problématiques et de savoir quel métier lui siérait réellement restait un immense champ des possibles.
Quand à moi, Pauline, architecte d’intérieur, je continuais mon bout de chemin paisible dans l’aménagement d’espaces tertiaires, depuis 5 ans mais les sujets auxquels Quentin avaient accès me charmaient doucement, de loin. Ces prémices lançaient également l’envie d’avoir un impact, même à petite échelle, en tant que designer, créateur d’espaces dans le monde actuel.
En 2019, entre une rentrée en formation pour l’un et le lancement dans l’entrepreneuriat pour l’autre, nous décidons de nous débarrasser de notre location en ville pour acheter un camion à aménager nous-mêmes. C’est le début d’une vie nomade jusqu’alors inconnue pour les deux citadins que nous étions depuis 10 ans.
Jusqu’au mois de mai 2020, le camion nous fera vadrouiller au sein d’un périmètre déjà plus ou moins connu, de la Haute-Garonne, en Ariège, en passant par le Tarn et l’Aude. Nous combinons formation, projets de clients et travaux sur le camion durant l’année 2019.
Puis, en mai 2020, c’est le grand départ pour le Tour de France et l’apprentissage de techniques éco-construites et éco-conçues.
Nous mettons en pratique désormais les savoir-faire sur lesquels nous nous sommes formés en tant que couvreur-chaumier pour Quentin et en conception d’habitat écologique pour moi.